Cet article fait suite à mes 4 derniers posts :
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- L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
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- L’homme en relation, la condition de l’homme moderne
La révolution industrielle est passée par là. Puisque le travail et l’œuvre s’exposent désormais en public – leurs performances gagnent le rang d’excellence, laquelle n’était réservée qu’aux activités publiques : les belles actions et les bonnes paroles –, le privé, au sens moderne, s’oppose au social et sa fonction essentielle est de protéger l’intimité. Le vocabulaire anglais est plus signifiant que celui de sa traduction française : « We no longer think primarily of deprivation when we use the word « privacy » (…) The decisive historical fact is that modern privacy in its most relevant function, to shelter the intimate, was discovered as the opposite not of the political sphere but of the social » (1). Aujourd’hui, dans Internet – espace de toutes nos relations –, le mot privacy est le terme générique qui signifie tout ce qui touche à la vie privée : les données, les règles de protection, les bonnes pratiques… Une ONG anglaise du nom de Privacy International s’est fixé pour but « de défendre le droit à la vie privée à travers le monde, et de lutter contre la surveillance et autres intrusions dans la vie privée par les gouvernements et les sociétés. » (2) Il faut mentionner ici deux déplacements remarquables concernant les droits de l’homme et la dignité humaine. Alors que dans l’antiquité, l’homme libre avait le droit d’accéder à la cité, l’esclave restant caché dans l’espace privé (de droit), aujourd’hui, on peut lire dans le credo de l’ONG Privacy International : « la vie privée est le droit de contrôler qui sait quoi sur vous, et dans quelles conditions (…) la vie privée est essentielle à la dignité humaine et à l’autonomie dans toutes les sociétés. Le droit à la vie privée est un droit humain fondamental qualifié. »
Les relations que l’homme noue dans sa sphère privée ou dans le monde public, n’ont cessé d’évoluer au gré des déformations des lieux où il exerce ses activités d’homme. Dans l’antiquité grecque, l’égalité entre pairs fondait des relations de compétition au sein de la polis. Il fallait être le meilleur : belles actions et bonnes paroles étaient les pierres de touche. Les premières pouvaient être farouches, elles se sont perpétuées bon an mal an jusqu’à la forme du duel que pratiquaient encore quelques nobles. Les secondes valurent leur gloire aux tribuns qu’on n’imagine pas en dehors d’un cénacle politique. A l’époque moderne, lorsque la société s’immisce dans la dichotomie tutélaire du monde antique au point de la fracturer, elle va progressivement exclure la possibilité de l’action à tous les niveaux. Le sens de l’égalité bascule, désormais la société égalise. Fondée sur le conformisme, l’égalité devient la base de l’économie. Passée de la polis à la société, elle se mesure, se calcule statiquement. L’action individuelle se dilue dans le comportement de la masse. Les hommes ne sont plus acteurs de la relation, ils n’agissent plus les uns avec les autres mais ont entre eux des comportements en commun.
Plus il y a de citoyens plus la moyenne engloutit les variations, les déviations. « The laws of statistics are valid only where large numbers or long periods are involved, and acts or events can statistically appear only as deviations or fluctuations » (3). Hannah Arendt traduit immédiatement en termes politiques : plus le nombre de personnes augmente, plus on passe du politique au social pour constituer le domaine public. Elle rappelle que les grecs savaient tenir compte de ce phénomène puisqu’ils avaient garde de conserver à la polis un petit nombre de citoyens, même si leur survie était à ce prix. Le courage était une vertu politique.
Pour exister, la cité grecque s’appuyait sur l’action et la parole, ses deux piliers politiques. Elle se distinguait ainsi du monde perse dont la civilisation favorisait au contraire les foules qui inclinent au despotisme.
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(1) CHM.en p.38, « quand nous parlons du privé, nous ne pensons plus à une privation (…) Evénement historique décisif : on découvrit que le privé au sens moderne, dans sa fonction essentielle qui est d’abriter l’intimité, s’oppose non pas au politique mais au social », CHM.fr p.77
(2) https://www.privacyinternational.org/
(3) CHM.en p.42, « Les lois de la statistique ne sont valables que pour les grands nombres ou les longues périodes ; les actes, les événements ne peuvent apparaître statistiquement que comme des déviations ou des fluctuations ». CHM.fr p.81.