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L’homme en relation, une conclusion

Cet article clot la suite de mes 7 derniers posts, il constitue une étude complète destinée à examiner si la pensée d’Hannah Arendt, telle qu’elle s’exprime notamment en 1958 dans la Condition de l’homme moderne vaut toujours dans notre monde contemporain.

  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”
  • L’homme en relation, la condition de l’homme moderne
  • L’homme en relation, … le monde change
  • L’homme en relation, les réseaux sociaux
  • L’homme en relation, la réification de la relation

L’usage que l’homme d’aujourd’hui fait des nouvelles façons de communiquer engendrées par Internet (réseau social, forum, blog, micro-blogging, chat, etc.) l’entraîne vers une déformation ontologique majeure : être connecté, c’est exister. Mais il est permis de douter de la profondeur des relations humaines qu’elles instrumentent.

Lorsque le pas est franchi, lorsque l’information privée est communiquée et publiée dans Internet, lorsque privé et public se confondent au point de menacer l’identité de l’internaute et parfois même jusqu’à son existence, quel protection érigée ? L’internaute est-il un sujet à part entière ? Il peut présenter de lui quelques reflets, ces persona qu’il aura créées, il peut jouer avec la réception des représentations de lui qu’il saura mettre en œuvre et diffuser. S’il est un utilisateur averti, l’internaute saura habiter un monde reconstruit numériquement et il pourra se protéger plus ou moins efficacement.

Deux solutions se dessinent : la manipulation et l’éthique. La première cherche à objectiver un sujet, autant celui qui s’écrit, se décrit ou se montre que celui qui voit ou observe, un sujet destiné à cacher la personne authentique. L’éthique, elle se présente « comme le lieu et la condition de possibilité de la réhabilitation de l’individu en tant que sujet, de sa sortie en tant que sujet instrumenté et donc de la re-possession du soi comme sujet individuel. » (1)

Que ce soit la description de l’avènement de la société, des déplacements entre les domaines privés et publiques, ou de la disparition de l’action au profit des comportements, la vision d’Hannah Arendt demeure juste lorsqu’elle est appliquée au choc frontal des nouvelles technologies que nous connaissons depuis quelques décennies et que la philosophe ne pouvait certainement pas imaginer.

Cette confrontation a permis de confirmer que, malgré le caractère radical et extrêmement perturbateur que les nouvelles technologies de l’information et de la communication font subir aux équilibres de la société contemporaine, les fondamentaux décrits dans la Condition de l’homme moderne sont toujours valides.

(1) PATRICK BRUNET, Ethiques et Internet, St Nicolas (Québec), les Presses de l’Université de Laval, 2002


L’homme en relation, la réification de la relation

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De la lecture de la Condition de l’homme moderne, il ressort qu’Hannah Arendt suggère une généralisation utile pour progresser dans notre propos : tout ce que l’homme réifie risque, tôt ou tard, d’être étaler au grand jour, d’advenir en public et donc de participer à la réduction de l’espace privé. Il en est ainsi des relations entre les hommes, des relations qui avaient toujours été inscrites dans l’immédiat, et dont le statut à changer avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Les moyens de l’informatique, de l’enregistrement et de la restitution, sans omettre la capacité à stocker et à pérenniser, font que toute parole, tout échange électronique entre personnes, peut être capté et conservé. Il est fini le temps de la parole envolée : oublié l’oubli ! Auparavant, seuls les écrits restaient. On écrivait une lettre transmise pour être reçue et conservée par son destinataire, on rédigeait un livre dont la multiplicité des exemplaires garantissait la pérennité, on prenait des notes pour pouvoir les relire ultérieurement … Le rapport à la conservation a changé. Alors qu’elle était volontairement choisie – on pouvait opter entre l’écrit et l’oral – aujourd’hui elle est automatique et la logique s’est inversée. Quoique l’on dise, sous quelque forme que ce soit, il faut expressément demander qu’aucun enregistrement ne soit fait. Et malgré cela, puisqu’on n’est sûr de rien, on peut préférer se taire. Paradoxe téléologique : la finalité des nouveaux moyens de communication peuvent conduire l’homme à se taire.

Avec les réseaux sociaux d’Internet, le phénomène s’est aggravé. Des méthodes extrêmement sophistiquées calculent sur les données des graphes sociaux (1) pour en déduire des informations précieuses sur des groupes de personnes. Il y a là un véritablement changement d’échelle : on n’enregistre plus un mail échangé entre deux personnes mais on saisit toutes les interactions au sein d’un ensemble d’individus, et par calcul on déduit les comportements. Cette réification d’un ordre de grandeur supérieur permet de poser des mots sur les activités d’une communauté, de lire des valeurs précises concernant leurs activités et de les placer dans le temps afin de comprendre jusqu’aux évolutions. A mettre des mots et des valeurs sur toute chose, l’homme se fait le réificateur universel : tout peut advenir chose, même tiré des mondes virtuels.

Dans le jeu pour ordinateur « Diablo III », mis en vente ces jours-ci, les joueurs peuvent vendre les objets virtuels qu’ils ont gagnés en jouant – comme par exemple une épée magique, un sort de magicien. La vente se fait aux enchères avec de l’argent bien réel. Faudra-t-il ajouter la vie virtuelle aux vies privée, sociale et publique ? On voit déjà que les frontières n’ont pas l’évidence que le bon sens voudrait trouver. Elles sont déjà floues.

A mesure que les menaces sur la vie privée se multiplient, des contre-mesures apparaissent. Par exemple, des entreprises spécialisées proposent leurs services pour effacer les traces laissées dans le monde numérique, des logiciels « anti-spam » tentent de supprimer les flots de courriers électroniques non sollicités, d’autres permettent de gérer des personnalités virtuelles créées pour parcelliser notre présence sur Internet et ainsi se cacher derrière autant de persona. « La redéfinition des espaces privé et public dans l’espace numérique d’Internet mettent l’accent sur les notions de simulacre, de métaphore, de nouvel habitat ou encore sur les rapports entre fiction et réalité, entre fond et forme, entre voyeurisme et exhibitionnisme. » (2) La manière de parler de soi dans les espaces numériques est perçu comme une façon de parler de l’autre. Le regard que l’on porte sur soi, une fois mis en texte, publié sur Internet, devient le miroir du regard de l’autre.

A suivre…

(1) Le « graphe social » est le nom donné à l’ensemble des données enregistrées en continu sur les serveurs d’un réseau social, données qui permettent de reconstituer les relations interpersonnelles et leurs pondérations relatives.

(2) PATRICK BRUNET, Ethiques et Internet, St Nicolas (Québec), les Presses de l’Université de Laval, 2002


L’homme en relation, les réseaux sociaux

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Lorsqu’Hannah Arendt évoque le réseau des relations, ses mots en anglais sont « The web of relationships ». L’emploi du mot web est-il une anticipation fortuite ? Elle écrit : « Action and speech go on between men, as they are directed toward them, and they retain their agent-revealing capacity even if their content is exclusively « objective », concerned with the matters of the world of things in which men move, which physically lies between them and out of which arise their specific, objective, worldly interests. These interests constitute, in the word’s most literal significance, something which inter-est, which lies between people and therefore can relate and bind them together. » (1)

Les réseaux sociaux d’Internet, voulant permettre la mise en relation de tout le monde, prônant l’utopie d’une sphère où tous échangeraient et contribueraient, établissent en fait un effet pervers de massification qui constitue leur propre danger ; mais un danger pour les membres captés et non pour les opérateurs, ces entreprises qui possèdent lesdits réseaux. Posséder signifie avoir la main sur les données statistiques produites par le réseau mais aussi pouvoir influencer les comportements au sein du réseau par des ajustements de ses règles du jeu, par exemple en mettant en œuvre une ergonomie qui favorise des comportements dirigés.
Par exemple dans Facebook, chacun se croit libre, mais plus on a d’amis dans son cercle, moins on y est libre car on se place sous le regard et bientôt la pression statistique de ceux que l’on a d’abord choisis. Peut-on vraiment avoir autant d’amis que cela ?

L’entreprise, espace où l’activité humaine est le travail, commence à adopter aussi le RSE (pour Réseau Social d’Entreprise). Cela lui permet de mettre à son profit la pression statistique induite par le nombre espéré important des utilisateurs. Certains grands groupes internationaux (2) désirent mettre prochainement à l’index des moyens de communication comme les courriers électroniques, condamnés de faire perdre trop de temps aux collaborateurs, de coûter cher en ressources informatiques et d’induire des mauvaises pratiques. Mais, on peut observer que les mails sont de la communication interpersonnelle, une certaine forme d’espace privé. Si on passe au RSE, le glissement s’opère vers ce lieu où la pression statistique apparaîtra et croîtra avec le nombre des membres. Et tout est fait pour favoriser cette progression : n’a-t-on pas créé un nouveau métier : animateur de communautés, et ne place-t-on pas des outils de métrologie performants mathématiquement ? Un puissant tiers social est né : alors que je dialogue avec tu, il nous observe. Cette troisième personne anime le réseau, observe ses réactions – moyenne des réactions élémentaires – et (ré)agit en conséquence.

Les réseaux sociaux ont souvent intégré la question du glissement vers un domaine social massif et proposent un espace où le nombre des membres est volontairement limité. La promotion de ces abonnements premium communique sur le privilège d’appartenir à un groupe supérieur. La barrière de cette citoyenneté se franchit financièrement : il faut acheter sa liberté pour quitter le domaine public pour accéder au bonheur de faire partie des happy few.

A suivre…

(1) CHM.en p.182, « L’action et la parole, dirigées vers les humains, ont lieu entre humains, et elles gardent leur pouvoir de révélation de l’agent même si leur contenu est exclusivement « objectif » et ne concerne que les affaires du monde d’objets où se meuvent les hommes, qui s’étend matériellement entre eux et d’où proviennent leur intérêt du-monde, objectifs, spécifiques. Ces intérêts constituent, au sens le littéral du mot, quelque chose qui inter-est, qui est entre les gens et par conséquent qui peut les rapprocher et les lier. » CHM.fr p.239-240

(2) Par exemple, d’ici 2014, le groupe Atos (78.000 personnes) souhaite tourner le dos à l’e-mail pour adopter la messagerie instantanée, les réseaux sociaux, les outils collaboratifs.


L’homme en relation, … le monde change

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La révolution industrielle est passée par là. Puisque le travail et l’œuvre s’exposent désormais en public – leurs performances gagnent le rang d’excellence, laquelle n’était réservée qu’aux activités publiques : les belles actions et les bonnes paroles –, le privé, au sens moderne, s’oppose au social et sa fonction essentielle est de protéger l’intimité. Le vocabulaire anglais est plus signifiant que celui de sa traduction française : « We no longer think primarily of deprivation when we use the word « privacy » (…) The decisive historical fact is that modern privacy in its most relevant function, to shelter the intimate, was discovered as the opposite not of the political sphere but of the social » (1). Aujourd’hui, dans Internet – espace de toutes nos relations –, le mot privacy est le terme générique qui signifie tout ce qui touche à la vie privée : les données, les règles de protection, les bonnes pratiques… Une ONG anglaise du nom de Privacy International s’est fixé pour but « de défendre le droit à la vie privée à travers le monde, et de lutter contre la surveillance et autres intrusions dans la vie privée par les gouvernements et les sociétés. » (2) Il faut mentionner ici deux déplacements remarquables concernant les droits de l’homme et la dignité humaine. Alors que dans l’antiquité, l’homme libre avait le droit d’accéder à la cité, l’esclave restant caché dans l’espace privé (de droit), aujourd’hui, on peut lire dans le credo de l’ONG Privacy International : « la vie privée est le droit de contrôler qui sait quoi sur vous, et dans quelles conditions (…) la vie privée est essentielle à la dignité humaine et à l’autonomie dans toutes les sociétés. Le droit à la vie privée est un droit humain fondamental qualifié. »

Les relations que l’homme noue dans sa sphère privée ou dans le monde public, n’ont cessé d’évoluer au gré des déformations des lieux où il exerce ses activités d’homme. Dans l’antiquité grecque, l’égalité entre pairs fondait des relations de compétition au sein de la polis. Il fallait être le meilleur : belles actions et bonnes paroles étaient les pierres de touche. Les premières pouvaient être farouches, elles se sont perpétuées bon an mal an jusqu’à la forme du duel que pratiquaient encore quelques nobles. Les secondes valurent leur gloire aux tribuns qu’on n’imagine pas en dehors d’un cénacle politique. A l’époque moderne, lorsque la société s’immisce dans la dichotomie tutélaire du monde antique au point de la fracturer, elle va progressivement exclure la possibilité de l’action à tous les niveaux. Le sens de l’égalité bascule, désormais la société égalise. Fondée sur le conformisme, l’égalité devient la base de l’économie. Passée de la polis à la société, elle se mesure, se calcule statiquement. L’action individuelle se dilue dans le comportement de la masse. Les hommes ne sont plus acteurs de la relation, ils n’agissent plus les uns avec les autres mais ont entre eux des comportements en commun.

Plus il y a de citoyens plus la moyenne engloutit les variations, les déviations. « The laws of statistics are valid only where large numbers or long periods are involved, and acts or events can statistically appear only as deviations or fluctuations » (3). Hannah Arendt traduit immédiatement en termes politiques : plus le nombre de personnes augmente, plus on passe du politique au social pour constituer le domaine public. Elle rappelle que les grecs savaient tenir compte de ce phénomène puisqu’ils avaient garde de conserver à la polis un petit nombre de citoyens, même si leur survie était à ce prix. Le courage était une vertu politique.

Pour exister, la cité grecque s’appuyait sur l’action et la parole, ses deux piliers politiques. Elle se distinguait ainsi du monde perse dont la civilisation favorisait au contraire les foules qui inclinent au despotisme.

(1) CHM.en p.38, « quand nous parlons du privé, nous ne pensons plus à une privation (…) Evénement historique décisif : on découvrit que le privé au sens moderne, dans sa fonction essentielle qui est d’abriter l’intimité, s’oppose non pas au politique mais au social », CHM.fr p.77

(2) https://www.privacyinternational.org/

(3) CHM.en p.42, « Les lois de la statistique ne sont valables que pour les grands nombres ou les longues périodes ; les actes, les événements ne peuvent apparaître statistiquement que comme des déviations ou des fluctuations ». CHM.fr p.81.


L’homme en relation, la condition de l’homme moderne

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Hannah Arendt distingue trois activités humaines sous le même terme de vita activa. Le travail (labor), l’œuvre (work) et l’action (action) sont les trois activités fondamentales, il n’y en a pas d’autres. Chacune correspond à des conditions de la vie humaine. « Labor is the activity which corresponds to the biological process of the human body (…) The human condition of labor is life itself. Work is the activity which corresponds to the unnaturalness of human existence (…) [it] provides an « artificial » world of things (…) the human condition of work is worldliness. Action, the only activity that goes on directly between men without the intermediary of things or matter, corresponds to the human condition of plurality (…) this plurality is specifically the condition (…) of all political life. » (1)

Ces trois conditions encadrent l’existence humaine, elles se réfèrent toutes à la vie. Le travail, en assurant la vie de l’individu, assume celle de l’espèce. L’œuvre apporte de la permanence, de la durée, elle permet la survie. L’action permet la naissance, la transmission de la vie, la transmission d’une vie à une autre vie.

Pour Hannah Arendt, l’action est l’activité la plus remarquable. « Plurality is the condition of human action because we are all the same, that is, human, in such a way that nobody is ever the same as anyone else who ever lived, lives, or will live. » (2) Cette dernière condition est paradoxale car elle est, en quelque sorte, la condition de l’évasion, celle qui permet à l’homme d’échapper aux conditions tout en demeurant humain. Elle laisse une place à l’imprévu, à l’impondérable, à la création « in its most elementary form, the human condition of action is implicit even in Genesis (« Male and female created He them ») » (3).

Pour situer les activités humaines, Hannah Arendt prend du recul et fait appel à l’histoire. Les grecs de l’antiquité, comme Aristote, voyaient en l’homme un ζῷον πολιτικόν (zôon politikon). Lorsque nous traduisons par « animal politique », la signification contemporaine des mots animal et politique fausse notre compréhension. « Vivant de la cité » serait plus juste. Il s’agit en fait d’un héritage des latins qui, n’ayant pas d’équivalent au mot politique, traduisaient par « animal socialis ». Dans la Grèce antique, une distinction fondamentale s’instaure entre l’οἶκος (la maison, domaine privé) et la πόλις (la cité, domaine public). En dehors de la maisonnée et de la polis, il n’existe rien. Les activités humaines relèvent de l’une ou de l’autre, exclusivement. « The polis was distinguished from the household in that it knew only « equals », whereas the household was the center of the strictest inequality. » (4) Le travail et l’œuvre étaient des activités domestiques qui incombaient aux esclaves. L’action, au contraire, était au grand jour l’affaire des hommes libres. Libres, ils l’étaient pour avoir refusé de peiner (l’étymologie du mot travailler renvoie à la pénibilité) au risque d’être pauvres. L’esclave, vivant le confort d’une maison et acceptant de s’aliéner par le travail, ne méritait pas beaucoup de considération. Les deux activités humaines qualifiées de politiques étaient l’action (praxis) et la parole (lexis), elles permettaient à l’homme libre de faire valoir son excellence en se distinguant par de belles actions et de belles paroles. Deux disciplines étaient enseignées : l’art de la guerre et la rhétorique. Cette dernière, s’exerçant avec le langage pour délivrer le mot juste au bon moment, fut vite considérée comme supérieure à la violence brutale et muette de la première.

La parole est très tôt valorisée, elle est un moyen de persuasion, une façon spécifiquement humaine de répondre, de répliquer, de se mesurer. Aristote trouve là une définition de l’homme comme étant capable de langage ζῷον λόγον ἔχον (zôon logon ekhon), les barbares comme les esclaves étant privés de parole άνευ λόγου (aneu logou).

La traduction latine « animal socialis » laisse apparaître un malentendu. Entre le domaine de la vie privée (de parole) et celui de la vie publique, un troisième espace se dessine : la société. Ni privée, ni publique, ou plutôt public et privée, elle crée une confusion que Hannah Arendt démasque.

En effet, chez les latins, le mot societas de l’expression animal socialis traduisant ζῷον πολιτικόν avait bien un sens politique « it indicated an alliance between people for a specific purpose, as when men organize in order to rule others or to commit a crime » (5). Au Moyen-âge, le domaine public est absent, toutes les activités sont absorbées par le domaine familial : le noble est sur sa seigneurie, le vilain sur sa culture, le citadin dans sa ville. Ce domaine laïc était exclusif du domaine religieux. La bipartition stricte entre le privé et le public s’était perpétuée. Mais le concept de société du genre humain fait prendre au mot société un sens plus général. Alors que la société devient une condition humaine, comment la situer quand privé et public doivent s’exclure ? De fait, la vie privée se rétracte, soit en s’exposant au grand jour soit en étant grignotée par la sphère publique. Hannah Arendt suggère de voir chez St Thomas d’Aquin une expression claire de ce glissement irréversible lorsqu’il « compares the nature of household rule with political rule: the head of the household, he finds, has some similarity to the head of the kingdom, but, he adds, his power is not so « perfect » as that of the king. » (6)

L’apparition du domaine social brouille les cartes. Ce sur quoi reposait l’équilibre du monde ancien disparaît. Un mur tombe, celui qui séparait le foyer familial de l’agora. La nouvelle dimension politique est celle de l’Etat-nation, domaine dans lequel les frontières culturelles et politiques se confondent, incorporant les personnes d’une même « souche ». En terme scientifique, Hannah Arendt précise que la discipline correspondante est l’économie sociale (7), un assemblage de mots contradictoires pour les anciens mais tellement conforme à notre monde moderne.

A suivre…

(1) CHM.en p.7, « Le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain (…) la condition humaine du travail est la vie elle-même. L’œuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine (…) [elle] fournit un monde « artificiel » d’objets (…) la condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au monde. L’action, la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets ni de la matière, correspond à la condition humaine de la pluralité (…) cette pluralité est spécifiquement la condition (…) de toute vie politique. » CHM.fr p.42

(2) CHM.en p.8. « La pluralité est la condition de l’action humaine, parce que nous sommes tous pareils, c’est-à-dire humains, sans que jamais personne ne soit identique à aucun autre homme ayant vécu, vivant ou encore à naître. » CHM.fr p.42-43

(3) CHM.en p.8, « sous sa forme la plus élémentaire, la condition humaine de l’action est déjà implicite dans la Genèse (il les créa mâle et femelle) » CHM.fr p.42

(4) CHM.en p.32, « La polis se distinguait de la famille en ce qu’elle ne connaissait que des « égaux », tandis que la famille était le siège de la plus rigoureuse inégalité » CHM.fr p.70

(5) CHM.en p.23, « il désignait une alliance conclue dans un but précis, par exemple par des gens qui s’associent pour prendre le pouvoir ou pour commettre un crime » CHM.fr p.60

(6) CHM.en P.27, « compare le la nature du gouvernement familial au gouvernement politique : « le chef de famille, dit-il, a quelque ressemblance avec le souverain du royaume, mais, ajoute-t-il, son pouvoir n’a pas la ‘’perfection’’ de celui du roi » » CHM.fr p.65.

(7) Dans le livre original, Hannah Arendt propose les terminologies suivantes : « national economy », « social economy » ou Volkswirtschaft.


L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la « Condition de l’homme moderne »

Avant de publier la suite de « L’homme en relation », il me semble important de faire une notice sur Hannah Arendt.

Johanna Arendt est née en 1906 à Hanovre de parents sociaux-démocrates et de grands-parents juifs réformateurs marqués par l’Aufklärung. Sa mère, admiratrice de Rosa Luxemburg, lui apprend à savoir se défendre et ne pas baisser la tête. Son père meurt en 1913. C’est dans ce milieu matériel, intellectuel et social favorisé que, dès 14 ans, (Jo)hannah lit la critique de la Kant. Précoce, elle passe en candidate libre son Abitur et s’engage en 1924 dans des études de philosophie et de théologie. Durant ses études, Hannah Arendt prend vraiment conscience de son identité juive et commence à militer. A Marbourg, petite ville universitaire, elle suit les cours de Martin Heidegger qui prépare alors Être et temps, puis à Fribourg-en-Brisgau, elle poursuit avec les cours de Husserl. Enfin, c’est à Heidelberg qu’elle rédige sa thèse Der Liebesgriff bei Augustin: Versuch einer philosophischen Interpretation (Le concept de l’amour chez Augustin) en 1929 sous la direction de Karl Jasper avec qui elle noue une fidèle amitié. Diplômée, elle se marie avec Günther Stern, un jeune philosophe. Ils s’établissent à Francfort.

En janvier 1933, Hitler est nommé Chancelier. Hannah Arendt est rapidement arrêtée, interrogée, et relâchée faute de preuve. Avec son mari, ils s’enfuient pour Paris. Cette même année, l’ « Alya des jeunes » est fondée dans le but de sauver les jeunes juifs de l’Allemagne nazie. Hannah Arendt exerce les fonctions de secrétaire générale de la branche française de l’organisation. En janvier 1940, elle épouse Heinrich Blücher, un historien de l’art, exilé lui aussi. Quelques mois plus tard, l’armée allemande est dans Paris. Ils sont arrêtés, brièvement internés dans un stade à Paris, puis elle est envoyée dans le camp de Gurs dans les Pyrénées Atlantiques.

Elle parvient à s’enfuir, retrouve son mari. Ils rejoignent l’Amérique en 1941 et s’installent à New York. Dans une situation de dénuement total, elle écrit dans plusieurs journaux. Après la guerre, elle retourne en Allemagne, travaille pour une association d’aide aux rescapés juifs, reprend contact avec Heidegger, témoigne en faveur du philosophe lors de son procès en dénazification.

En 1951, naturalisée citoyenne américaine, elle publie The Origins of Totalitarianism (Les origines du totalitarisme). Deux ans plus tard, elle entame une carrière universitaire et donne des cours à Princeton, Berkeley, Harvard, Chicago et New York. En 1958, elle signe son premier succès de librairie, contre toute attente, The Human Condition (Condition de l’homme moderne). D’autres livres suivent, dont Between Past and Future : Six Exercices in Political Thought (La Crise de la culture) en 1961.

Comme journaliste, elle part à Jérusalem pour couvrir le procès du responsable nazi Adolf Eichmann, qui représente pour elle l’incarnation de la « banalité du mal ». Elle réunit ses articles dans un livre, Eichmann in Jerusalem : A Report on the Banality of Evil, (Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963) qui vaut à Hannah Arendt de nombreuses critiques. On lui reproche de faire d’Adolf Eichmann un sioniste et de critiquer les populations déportées pour ne s’être pas suffisamment révoltées contre leurs tortionnaires. Elle démontre pourtant que l’horreur du système nazi réside notamment dans sa capacité à détruire la volonté des individus.

Elle donne des cours, écrit et publie encore On Revolution (Essai sur la révolution, 1963), Men in Dark Times (Vies politiques, 1968), Crise of the Republic (Du mensonge à la violence, 1972). Elle meurt en 1975 sans avoir pu terminer la trilogie The Life of the Mind (La vie de l’esprit) sur laquelle elle travaillait activement. Les deux premiers volets paraissent à titre posthume : Thinking (La pensée) et Willing (La volonté) (1978-1981). Elle avait à peine ébauché Judging (Le jugement).


L’homme en relation, la genèse de la « Condition de l’homme moderne » d’Hannah Arendt

(Cet article fait suite à mon dernier post : L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt)

Au lendemain de la guerre, dans The Origins of Totalitarianism (Les origines du totalitarisme), Arendt observe que les masses sont apparues avec la Révolution Industrielle, et font suite à l’automatisation de la société et au déclin de son organisation en partis et en classes. L’ « homme de masse » est paradoxalement un individu isolé. Il est interchangeable, pourrait être n’importe qui, et fait l’expérience de la « désolation ». Cela signifie pour Hannah Arendt qu’il n’appartient plus au monde des hommes et se trouve réduit à l’inutilité. La société de classes et ses fonctions sociales s’effondrent. En régime totalitaire, une seule idée suffisait à tout expliquer. Les hommes n’ont plus accès au monde commun, ils sont privés de la nécessaire pluralité, poussés à l’isolement et au repli dans un espace privé. Mais la « désolation » est plus grave encore car la destruction de la sphère publique de la vie est concomitante avec celle de la vie privée. La logique totalitaire n’a pas besoin de faire référence aux faits, à l’expérience. La « camisole de la logique » (1) conduit les individus à abandonner leur liberté intérieure.

Après avoir vécu l’effroyable temps de la destruction, et publié son premier écrit philosophique The Origins of Totalitarianism, Hannah Arendt aborde une nouvelle étape dans son œuvre. Elle veut désormais contribuer à la reconstruction d’un monde qu’elle observe et étudie. Elle avait observé que le totalitarisme, sous toutes ses formes, détruit les relations entre les hommes. En plaçant le concept de « condition humaine » au centre de sa pensée, Hannah Arendt construit un discours anthropologique original, qui concerne l’humain en général comme en particulier.

Elle consacre La condition de l’homme moderne à la question de la nature humaine, ou plutôt de sa remise en cause et à l’affirmation de la condition humaine. Car « the human condition is not the same as human nature (…) the most radical change in the human condition we can imagine would be an emigration of men from the earth to some other planet. » (2)

En effet, le monde a changé et notre regard sur lui doit changer. Le prologue nous situe d’emblée face à deux événements qui impriment à l’œuvre sa dynamique et placent d’emblée le lecteur en déséquilibre. En effet, comment pourrait-il en rester à d’anciennes conceptions du monde quand, en 1957, le premier satellite artificiel échappe à la pesanteur terrestre et se met en orbite autour de la Terre ? Et comment, dans ces mêmes années 50, pourrait-il ignorer l’avancée galopante de l’automatisation quand les progrès des calculateurs donnent naissance à une cybernétique très vite triomphante.

Le premier événement marque un « step toward escape from men’s imprisonment to the earth » (3), la rupture est bien concrète et sa portée symbolique est déroutante : la Terre n’est plus le lieu unique de la condition humaine. L’homme serait-il bientôt en mesure de lui échapper ? Le second, l’avènement de l’automatisation, menace plus encore l’équilibre de la condition humaine : « It is a society of laborers which is about to be liberated from the fetters of labor, and this society does no longer know of those other higher and more meaningful activities for the sake of which this freedom would deserve to be won » (4).

Mais « to theses preoccupations and perplexities, this book does not offer an answer. Such answers are given every day … » (5). Hannah Arendt est très claire quant à son propos, elle ne fait pas de la politique, elle pense la politique en partant de nos expériences humaines d’hier et d’aujourd’hui, de nos inquiétudes et de nos craintes. Alors qu’une des caractéristiques du monde moderne est le manque de réflexion, elle déclare « what I propose, therefore, is very simple : it is nothing more than to think what we are doing » (6).

Hannah Arendt, qui a toujours gardé un lien très privilégié avec Karl Jaspers au point qu’on a pu le considérer comme son mentor, lui avait fait part de son projet : « J’ai commencé si tard, à peine il y a quelques années, à aimer vraiment le monde… Par gratitude je voudrais appeler mon livre de théorie politique « Amor Mundi » (7)» . De fait, en avril 1956, elle précisait à Jaspers : « mon manuscrit est à peu près au point, mais loin d’être prêt pour l’impression. Je l’appellerai Vita Activa et je m’intéresserai essentiellement au travail, à l’œuvre et à l’action, et à leur implication politique » (8). Karl Jaspers écrivant à Blücher espérait que « le livre d’Hannah sera un événement important en Allemagne. Si ce n’était pas le cas, ce sera la faute à l’Allemagne ». Le livre paraît d’abord en anglais (9), puis en allemand (10). Il connaît un grand succès comme le confirme Hannah Arendt à Jaspers : « le livre se vend si bien que l’éditeur est obligé de procéder à une seconde réédition au bout de quatre mois. Personne ne sait exactement pourquoi, pas même l’éditeur ».

(1) HANNAH ARENDT, Le système totalitaire, Coll. Points, Seuil, Paris, 1972, p.218

(2) CHM.en p.9-10, « la condition humaine ne s’identifie pas à la nature humaine (…) le changement le plus radical que nous puissions imaginer pour la condition humaine serait l’émigration dans une autre planète. » CHM.fr, p.44

(3) CHM.en Prologue p.1, « pas vers l’évasion des hommes hors de la prison terrestre » CHM.fr p.33

(4) CHM.en, p.5, « c’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté » CHM.fr p.37

(5) CHM.en p.5, « à ces préoccupations, à ces inquiétudes, le présent ouvrage ne se propose pas de répondre. Des réponses, on en donne tous les jours … » CHM.fr p.38

(6) HANNAH ARENDT, The Human Condition, The University of Chicago Press, Chicago, London, 1958, p.5 : « Aussi, ce que je propose est très simple : rien de plus que de penser ce que nous faisons » (CHM p.44)

(7) HANNAH ARENDT, Lettre du 6 août 1955 adressée à Karl Jaspers

(8) HANNAH ARENDT – KARL JASPER, Correspondance,1926-1969, Payot, Paris, 1995

(9) CHM.en

(10) CHM.de

CHM.fr = HANNAH ARENDT, Condition de l’homme moderne, Coll. Agora Pocket, Calmann-Lévy, Paris, 1983

CHM.en = HANNAH ARENDT, The Human Condition, The University of Chicago Press, Chicago, London, 1958

CHM.de = HANNAH ARENDT, Vita Activa oder vom tätiden Lebens, Piper & Co Verlag, München, 1960


L’homme en relation, une lecture de la « Condition de l’homme moderne » d’Hannah Arendt

Pour comprendre l’œuvre d’Hannah Arendt, il faut se pencher sur sa vie, ses origines, son histoire personnelle faite d’expériences bouleversantes. Elle est assurément une figure majeure de la philosophie du XXe siècle au niveau mondial, pourtant elle se définissait volontiers simplement comme « political theorist ». Grande connaisseuse de la culture allemande ainsi que de l’histoire et la philosophie de l’antiquité grecque et latine, sa réflexion, nourrie par la largeur de spectre de sa vision, lui permet d’embrasser de grandes questions pour apporter des réponses aux dimensions qui tiennent de la généralisation ou de la théorisation.

Cette étude veut interroger la question de l’« homme en relation » telle qu’Hannah Arendt la pense au sein de son œuvre sur la Condition de l’homme moderne, avec une attention particulière à sa deuxième partie consacrée au domaine public et au domaine privé. Dès le début du livre, Hannah Arendt précise que les hommes, du fait de leur condition de pluralité, partagent une activité qui les place en rapport les uns avec les autres : l’action. En d’autres termes, l’homme ne pouvant vivre seul, interagit et réalise des actions avec d’autres hommes.

Depuis la parution du livre, il y a un demi-siècle, les relations entre les hommes n’ont cessé de bénéficier de nouveaux moyens. Il est intéressant de noter ici que, dans cette même période, la majorité des innovations ont été consacrées aux communications, marquant ainsi la constance de cette préoccupation principale de l’homme moderne. Si Hannah Arendt les avait connus, aurait-elle changé son discours ? La Condition de l’homme moderne aurait-elle été modifiée ? Formulée autrement, la question est de savoir si les invariants mis en évidence par Hannah Arendt sont résistants et toujours opérants pour nous permettre de penser l’irruption de l’informatique, d’Internet et des réseaux sociaux aujourd’hui que l’on considère comme de la même importance que la révolution industrielle.

Dans les jours qui viennent, je publierai la suite de ces réflexions.


Quelques repères philosophiques pour penser les réseaux sociaux

L’AFISI organisait la semaine dernière une conférence sur les réseaux sociaux. L’approche n’était pas celle des conférences habituelles … que je ne veux pas dénigrer par ailleurs. Les conférenciers ont présentés des aspects peu abordés (dont le droit, le développement durable) qui ont donné son originalité et son intérêt à l’événement.

J’y ai contribué en présentant « quelques repères philosophiques ». Les slides sont disponibles sur Slideshare. En quelques slides et une demi-heure, on ne peut qu’ébaucher un sujet aussi vaste. A côté de Martin Heidegger, de Paul Ricoeur, j’aurai bien développé aussi à partir de la pensée d’Emmanuel Lévinas. Le visage de l’autre prend chez lui une dimension qui nous invite à la responsabilité … le parallèle avec la personne exposée par les réseaux sociaux me semble très riche. Le philosophe est mort en 1995, au moment où nait le web public. Je suis persuadé qu’il aurait écrit des pages intéressantes …


L’exposition de l’ipséité est-elle risquée dans les réseaux sociaux ?

Le 18 janvier 2011, lors de la conférence que je donnais au Cercle d’Ethique des Affaires sous le titre Ethiques et réseaux sociaux, j’ai détaillé un point qui, semble t-il, n’a pas été analysé ou trop peu.

Le philosophe Paul Ricoeur nous propose de considérer l’identité des personnes comme composée d’une mêmeté et d’une ipséité. La première est cette part de nous-même qui dit que nous sommes des « autres semblables à », que nous sommes comme d’autres, que nous appartenons à un groupe, etc. La seconde est la part qui dit que nous ne sommes pas comme l’autre, que nous sommes un autre, elle dit notre différence.

La mêmeté est alors soutenue dans les réseaux sociaux lorsque nous mentionnons notre appartenance à un groupe, une communauté. La seconde nous sépare, nous distingue. Je pourrai détailler encore tout ceci, mais je pense que les concepts se comprennent aisément.

On conçoit bien que la mêmeté est protectrice, à la façon du groupe qui accueille et protège ses membres. D’ailleurs, dans un réseau social, plus un groupe est nombreux, plus il est « fort », plus il « a raison » (il faut dire tout ça avec beaucoup de précaution).

L’ipséité, en revanche, parce qu’elle permet de se distinguer, peut aller jusqu’à opposer. Lorsque le membre d’un réseau social s’expose « du côté de son ipséité », il se met potentiellement en danger. En paraphrasant un célèbre dicton, on peut écrire « un membre de réseau social seul est un membre en danger » !


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