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Comprendre la philosophie de Datalift par quelques exemples…

L’entrepreneur qui crée un nouveau produit, le développe dans son entreprise. Il a besoin d’un accès à l’extérieur pour trouver des informations sur sa concurrence et sur les attentes de sa clientèle présente ou future afin que son innovation trouve une juste place dans le marché.

information = fonction (accès)

L’architecte qui dresse les plans d’un futur complexe sportif, réunit beaucoup de données sur de très nombreux aspects. Lorsqu’il rencontre le maire, il présente un dossier cohérent. Pour cette harmonisation, il convertit les données de base dans un langage compréhensible par ses interlocuteurs.

compréhension = conversion (information)

Lorsque deux mathématiciens se rencontrent, ils peuvent coopérer et partager leurs préoccupations s’ils utilisent un langage commun. Cela leur permet d’exposer leurs travaux à l’aide des concepts qu’ils savent manipuler et qui ont la même signification pour chacun d’eux.

exposition = partage (langage commun, compréhension)

Pour constituer une base de données adresse de qualité, la bonne recette consiste à prendre le plus de sources et à les croiser pour, notamment, supprimer les mauvaises coordonnées. En reliant des données exposées par plusieurs contributeurs, la qualité de l’ensemble s’enrichit.

enrichissement = croisement (exposition)

Dans le monde journalistique, l’information qui a de la valeur, est celle qui est vérifiée par recoupement puis qui est largement diffusée. Elle acquiert sa valeur lors de sa production parce que des croisements ont été effectués par les journalistes pour la valider, lui conférant ainsi un plus haut niveau de confiance. Elle acquiert encore de la valeur parce qu’elle a des lecteurs qui peuvent l’utiliser. Les données n’ont de valeur que parce qu’elles sont exploitables et exploitées.

valeur des données = exploitation (enrichissement) + exploitation (publication)

Ces exemples, que je pourrais multiplier, nous ont permis d’établir intuitivement que les données ont d’autant plus de valeur qu’elles sont accessibles, comprises, partagées, croisées et exploitables. Ces caractéristiques font système, elles forment un tout. Libérer seulement les données n’est pas suffisant. Convertir les données est inutile si on ne les partage pas, etc.

Tout cela peut sembler si simple et évident. Et pourtant, paradoxalement, combien d’entreprises restent assises sur leur capital informationnel, un capital immatériel qui ne demande qu’a se matérialiser économiquement !

C’est ici l’intuition qui est la base des élévateurs de données dont Datalift est le paradigme exemplaire.

Le Web est probablement entré dans la phase de sa plus profonde transition. Après avoir été accessibles sur les ordinateurs personnels et avoir permis d’accéder à des documents liés par des hyperliens voulus par les rédacteurs, il a gagné rapidement en ubiquité en pénétrant chaque partie et chaque moment de nos vies en se faisant plus collaboratif. De nouveaux appareils et de nouveaux usages sont continuellement créés par des utilisateurs promus au rang d’acteur. Et l’omniprésence de l’Internet a créé également une abondance d’informations invisibles, mais non dénuées de valeur pour qui sait en tirer profit.

Ces données circulent dans le Web. Elles y sont stockées, mais qui sait où et en combien d’exemplaires ? Elles sont aussi transformées, traitées, rediffusées. Créées par les utilisateurs, générées par des capteurs, stockées dans des fermes de données dont la croissance semble ne pas avoir de limite, les données peuplent ce web dynamique qu’on appelle web de données. Il est la métaphore d’une base de données distribuée et mondiale.

Ces données n’ont de valeur qu’à condition que l’on puisse y accéder, les comprendre, les croiser et les enrichir pour enfin les partager et les exploiter. Ce sont là les 5 étapes du processus d’élévation de données, celui-là même qui est au cœur de Datalift.


1512 – 2012 : 500 ans d’imprimerie arménienne

Il y a exactement cinq siècles, c’est à Venise que fut publié le premier livre arménien imprimé avec des caractères mobiles de Gutenberg. L’imprimeur s’appelait Hakob Meghapart, Հակոբ Մեղապարտ.

Le titre du livre est « Urbatagirk », en arménien : Ուրբաթագիրք. Si on décompose le nom, on a Ուրբաթ (vendredi) + ա + գիրք (livre). La signification est simple, il s’agit du « livre du vendredi ». Le livre contient 124 pages imprimées en rouge et noir. 24 d’entre-elles sont colorées. Il s’agit d’un recueil de prières, qui comprend des remèdes pour les maladies et des citations de Grégoire de Narek.

En 1512-1513, Hakob Meghapart publie cinq livres.

Urbatagirk / Ուրբաթագիրք / Livre du vendredi


(je n’ai pas encore de photo)

Pataragatetr / Պատարագատետր / Missel


Aghtark / Աղթարք / Traité d’astronomie


Le Parzatumar Hayoc’ est un ouvrage composé de cinq parties : 1) Un traité des signes du zodiaque, 2) un traité sur le premier jour de l’année, 3) un traité sur les rêves, 4) un traité sur la naissance des enfants et 5) un traité sur le mouvement du corps humain. Au recto de la première feuille, on peut lire : « Almanach des Arméniens », suit le calendrier de l’an 961 de l’ère arménienne (= 1512). On en trouve un exemplaire dans la bibliothèque des PP. Mekithariste à Vienne et un autre dans le Couvent de St. Jacques à Jérusalem. En 2006, il s’en est vendu un au prix de 60.000 $.

(je n’ai pas encore de photo)

Parzatumar / Պարզատումար / Calendrier


Tagharan / Տաղարան / Livre de chants


Si vous avez des informations complémentaires, n’hésitez pas à me laisser un message. Merci.


La valeur du « non » en Recherche et Développement

Je commence toujours mon cours de « Gestion de l’innovation » en partageant cette conviction avec les étudiants : il est tout aussi intéressant d’arriver à un « no go » qu’à un « go » quand on monte un dossier d’innovation ou de R&D. C’est déconcertant, j’en conviens, car chacun aimerait qu’à l’issue d’un travail rondement mené, on aboutisse à la conclusion : « votre dossier est nickel, on y va ! »

Si, après une étude honnête, on parvient à un « non », cela relance la recherche, cela stimule la créativité pour trouver une meilleure solution. On va chercher à comprendre le refus. Avec un « oui », combien de fois ne s’est on pas arrêté ? Et quand l’innovation sort, elle va être copiée, souvent sans beaucoup d’intelligence …

C’est bien paradoxal, mais un « oui » peut tuer l’innovation ! Dans tous les cas, le oui est un puissant anesthésique pour beaucoup !

N’allez pas croire que je milite pour les rejets en commission, pour les refus de toutes sortes. Il faut des « go ». Et pour qu’il soit de la meilleure facture possible, il leur faut l’humilité des débuts. Après un « go », il en faudra d’autres pour apporter des améliorations, pour écouter les utilisateurs et la concurrence et en tenir compte.

En médecine, la publication des résultats négatifs est encouragée car elle est une source de progrès. Une revue est intégralement dédiée à cette problématique. C’est le Journal of negative result in biomedecine publié par Springer et dont le rédacteur en chef est Bjorn Olsen, de Harvard Medical School.


Big Data et Linked Data : le téra triple

Les données liées appartiennent au monde du web des données dont les dimensions, déjà énormes, ne cessent de croître à un rythme supérieur à celui qu’on a observé pour le web des documents. Pour répondre à cette explosion, des architectes se sont mis à l’oeuvre et il existe désormais des triplestores dont la capacité de stockage a dépassé 10 puissance 12 triples (les anglais parlent de trillion, on utilise aussi le préfixe téra).

Deux faits marquants sont à signaler:

  • AllegroGraph en août 2011, il y a juste un an, a déclaré avoir atteint le Téra triple. Ce sont exactement 1.009.690.381.946 triples qui ont été chargé en 338 heures (14 jours et 2 heures), soit une moyenne de 0.83 millions de triples par seconde.
  • La solution 5Store a aussi annoncé avoir franchi cette limite.

Lorsqu’on atteint de tels ordres de grandeur, les solutions ne sont plus classiques. On n’est plus tranquillement en train de télécharger un triple store open source sur son ordinateur personnel. Les infrastructures sont des architectures puissantes.

5Store a été conçu à partir de zéro pour des clusters pouvant aller jusqu’à 1000 machines et tenir à plus du Tt (Téra triple).

D’autres triplestores s’approchent. OWLIM prétend être capable de gérer de 10 à 100 de milliards de triplets (entre 0.01 Tt et 0.1 Tt). La société Ontotex écrit : « OWLIM-Enterprise is a replication cluster infrastructure based on OWLIM-SE. It offers industrial strength resilience and linearly scalable parallel query performance, with support for load-balancing and automatic fail-over. »

Dommage que la page du W3C consacrée aux grands triplestores ne soit pas mise à jour.


Historische Sprachforschung, linguistique comparée

La revue de linguistique « Historische Sprachforschung » fondée en 1851 par Adalbert Kuhn avait pour titre de « Zeitschrift für Historische Sprachwissenschaft » (jusqu’au volume n.100).

Elle est aujourd’hui conduite aujourd’hui par Alfred Bammesberger (Eichstätt), Olav Hackstein (Munich) et Sabine Ziegler (Iéna). La revue qui paraît chaque année chez l’éditeur « Göttinger Verlag Vandenhoeck & Ruprecht », est principalement dédiée à des questions précises concernant différents domaines de la linguistique historique et les idiomes de différents types de famille de langues indo-européennes.

Des ressources sont disponibles en ligne. En 1997, Alfred Bammesberger a publié un répertoire pour les volumes 1 à 100. Et plusieurs volumes de la revue ont été numérisés :

Pour l’arménien classique, il faut se reporter à la liste publiée sur le site de l’Université : (pdf). Les mots y sont translittérés et triés par ordre alphabétique.


L’homme en relation, une conclusion

Cet article clot la suite de mes 7 derniers posts, il constitue une étude complète destinée à examiner si la pensée d’Hannah Arendt, telle qu’elle s’exprime notamment en 1958 dans la Condition de l’homme moderne vaut toujours dans notre monde contemporain.

  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”
  • L’homme en relation, la condition de l’homme moderne
  • L’homme en relation, … le monde change
  • L’homme en relation, les réseaux sociaux
  • L’homme en relation, la réification de la relation

L’usage que l’homme d’aujourd’hui fait des nouvelles façons de communiquer engendrées par Internet (réseau social, forum, blog, micro-blogging, chat, etc.) l’entraîne vers une déformation ontologique majeure : être connecté, c’est exister. Mais il est permis de douter de la profondeur des relations humaines qu’elles instrumentent.

Lorsque le pas est franchi, lorsque l’information privée est communiquée et publiée dans Internet, lorsque privé et public se confondent au point de menacer l’identité de l’internaute et parfois même jusqu’à son existence, quel protection érigée ? L’internaute est-il un sujet à part entière ? Il peut présenter de lui quelques reflets, ces persona qu’il aura créées, il peut jouer avec la réception des représentations de lui qu’il saura mettre en œuvre et diffuser. S’il est un utilisateur averti, l’internaute saura habiter un monde reconstruit numériquement et il pourra se protéger plus ou moins efficacement.

Deux solutions se dessinent : la manipulation et l’éthique. La première cherche à objectiver un sujet, autant celui qui s’écrit, se décrit ou se montre que celui qui voit ou observe, un sujet destiné à cacher la personne authentique. L’éthique, elle se présente « comme le lieu et la condition de possibilité de la réhabilitation de l’individu en tant que sujet, de sa sortie en tant que sujet instrumenté et donc de la re-possession du soi comme sujet individuel. » (1)

Que ce soit la description de l’avènement de la société, des déplacements entre les domaines privés et publiques, ou de la disparition de l’action au profit des comportements, la vision d’Hannah Arendt demeure juste lorsqu’elle est appliquée au choc frontal des nouvelles technologies que nous connaissons depuis quelques décennies et que la philosophe ne pouvait certainement pas imaginer.

Cette confrontation a permis de confirmer que, malgré le caractère radical et extrêmement perturbateur que les nouvelles technologies de l’information et de la communication font subir aux équilibres de la société contemporaine, les fondamentaux décrits dans la Condition de l’homme moderne sont toujours valides.

(1) PATRICK BRUNET, Ethiques et Internet, St Nicolas (Québec), les Presses de l’Université de Laval, 2002


L’homme en relation, la réification de la relation

Cet article fait suite à mes 6 derniers posts :

  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”
  • L’homme en relation, la condition de l’homme moderne
  • L’homme en relation, … le monde change
  • L’homme en relation, les réseaux sociaux

De la lecture de la Condition de l’homme moderne, il ressort qu’Hannah Arendt suggère une généralisation utile pour progresser dans notre propos : tout ce que l’homme réifie risque, tôt ou tard, d’être étaler au grand jour, d’advenir en public et donc de participer à la réduction de l’espace privé. Il en est ainsi des relations entre les hommes, des relations qui avaient toujours été inscrites dans l’immédiat, et dont le statut à changer avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Les moyens de l’informatique, de l’enregistrement et de la restitution, sans omettre la capacité à stocker et à pérenniser, font que toute parole, tout échange électronique entre personnes, peut être capté et conservé. Il est fini le temps de la parole envolée : oublié l’oubli ! Auparavant, seuls les écrits restaient. On écrivait une lettre transmise pour être reçue et conservée par son destinataire, on rédigeait un livre dont la multiplicité des exemplaires garantissait la pérennité, on prenait des notes pour pouvoir les relire ultérieurement … Le rapport à la conservation a changé. Alors qu’elle était volontairement choisie – on pouvait opter entre l’écrit et l’oral – aujourd’hui elle est automatique et la logique s’est inversée. Quoique l’on dise, sous quelque forme que ce soit, il faut expressément demander qu’aucun enregistrement ne soit fait. Et malgré cela, puisqu’on n’est sûr de rien, on peut préférer se taire. Paradoxe téléologique : la finalité des nouveaux moyens de communication peuvent conduire l’homme à se taire.

Avec les réseaux sociaux d’Internet, le phénomène s’est aggravé. Des méthodes extrêmement sophistiquées calculent sur les données des graphes sociaux (1) pour en déduire des informations précieuses sur des groupes de personnes. Il y a là un véritablement changement d’échelle : on n’enregistre plus un mail échangé entre deux personnes mais on saisit toutes les interactions au sein d’un ensemble d’individus, et par calcul on déduit les comportements. Cette réification d’un ordre de grandeur supérieur permet de poser des mots sur les activités d’une communauté, de lire des valeurs précises concernant leurs activités et de les placer dans le temps afin de comprendre jusqu’aux évolutions. A mettre des mots et des valeurs sur toute chose, l’homme se fait le réificateur universel : tout peut advenir chose, même tiré des mondes virtuels.

Dans le jeu pour ordinateur « Diablo III », mis en vente ces jours-ci, les joueurs peuvent vendre les objets virtuels qu’ils ont gagnés en jouant – comme par exemple une épée magique, un sort de magicien. La vente se fait aux enchères avec de l’argent bien réel. Faudra-t-il ajouter la vie virtuelle aux vies privée, sociale et publique ? On voit déjà que les frontières n’ont pas l’évidence que le bon sens voudrait trouver. Elles sont déjà floues.

A mesure que les menaces sur la vie privée se multiplient, des contre-mesures apparaissent. Par exemple, des entreprises spécialisées proposent leurs services pour effacer les traces laissées dans le monde numérique, des logiciels « anti-spam » tentent de supprimer les flots de courriers électroniques non sollicités, d’autres permettent de gérer des personnalités virtuelles créées pour parcelliser notre présence sur Internet et ainsi se cacher derrière autant de persona. « La redéfinition des espaces privé et public dans l’espace numérique d’Internet mettent l’accent sur les notions de simulacre, de métaphore, de nouvel habitat ou encore sur les rapports entre fiction et réalité, entre fond et forme, entre voyeurisme et exhibitionnisme. » (2) La manière de parler de soi dans les espaces numériques est perçu comme une façon de parler de l’autre. Le regard que l’on porte sur soi, une fois mis en texte, publié sur Internet, devient le miroir du regard de l’autre.

A suivre…

(1) Le « graphe social » est le nom donné à l’ensemble des données enregistrées en continu sur les serveurs d’un réseau social, données qui permettent de reconstituer les relations interpersonnelles et leurs pondérations relatives.

(2) PATRICK BRUNET, Ethiques et Internet, St Nicolas (Québec), les Presses de l’Université de Laval, 2002


L’homme en relation, les réseaux sociaux

Cet article fait suite à mes 5 derniers posts :

  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”
  • L’homme en relation, la condition de l’homme moderne
  • L’homme en relation, … le monde change

Lorsqu’Hannah Arendt évoque le réseau des relations, ses mots en anglais sont « The web of relationships ». L’emploi du mot web est-il une anticipation fortuite ? Elle écrit : « Action and speech go on between men, as they are directed toward them, and they retain their agent-revealing capacity even if their content is exclusively « objective », concerned with the matters of the world of things in which men move, which physically lies between them and out of which arise their specific, objective, worldly interests. These interests constitute, in the word’s most literal significance, something which inter-est, which lies between people and therefore can relate and bind them together. » (1)

Les réseaux sociaux d’Internet, voulant permettre la mise en relation de tout le monde, prônant l’utopie d’une sphère où tous échangeraient et contribueraient, établissent en fait un effet pervers de massification qui constitue leur propre danger ; mais un danger pour les membres captés et non pour les opérateurs, ces entreprises qui possèdent lesdits réseaux. Posséder signifie avoir la main sur les données statistiques produites par le réseau mais aussi pouvoir influencer les comportements au sein du réseau par des ajustements de ses règles du jeu, par exemple en mettant en œuvre une ergonomie qui favorise des comportements dirigés.
Par exemple dans Facebook, chacun se croit libre, mais plus on a d’amis dans son cercle, moins on y est libre car on se place sous le regard et bientôt la pression statistique de ceux que l’on a d’abord choisis. Peut-on vraiment avoir autant d’amis que cela ?

L’entreprise, espace où l’activité humaine est le travail, commence à adopter aussi le RSE (pour Réseau Social d’Entreprise). Cela lui permet de mettre à son profit la pression statistique induite par le nombre espéré important des utilisateurs. Certains grands groupes internationaux (2) désirent mettre prochainement à l’index des moyens de communication comme les courriers électroniques, condamnés de faire perdre trop de temps aux collaborateurs, de coûter cher en ressources informatiques et d’induire des mauvaises pratiques. Mais, on peut observer que les mails sont de la communication interpersonnelle, une certaine forme d’espace privé. Si on passe au RSE, le glissement s’opère vers ce lieu où la pression statistique apparaîtra et croîtra avec le nombre des membres. Et tout est fait pour favoriser cette progression : n’a-t-on pas créé un nouveau métier : animateur de communautés, et ne place-t-on pas des outils de métrologie performants mathématiquement ? Un puissant tiers social est né : alors que je dialogue avec tu, il nous observe. Cette troisième personne anime le réseau, observe ses réactions – moyenne des réactions élémentaires – et (ré)agit en conséquence.

Les réseaux sociaux ont souvent intégré la question du glissement vers un domaine social massif et proposent un espace où le nombre des membres est volontairement limité. La promotion de ces abonnements premium communique sur le privilège d’appartenir à un groupe supérieur. La barrière de cette citoyenneté se franchit financièrement : il faut acheter sa liberté pour quitter le domaine public pour accéder au bonheur de faire partie des happy few.

A suivre…

(1) CHM.en p.182, « L’action et la parole, dirigées vers les humains, ont lieu entre humains, et elles gardent leur pouvoir de révélation de l’agent même si leur contenu est exclusivement « objectif » et ne concerne que les affaires du monde d’objets où se meuvent les hommes, qui s’étend matériellement entre eux et d’où proviennent leur intérêt du-monde, objectifs, spécifiques. Ces intérêts constituent, au sens le littéral du mot, quelque chose qui inter-est, qui est entre les gens et par conséquent qui peut les rapprocher et les lier. » CHM.fr p.239-240

(2) Par exemple, d’ici 2014, le groupe Atos (78.000 personnes) souhaite tourner le dos à l’e-mail pour adopter la messagerie instantanée, les réseaux sociaux, les outils collaboratifs.


L’homme en relation, … le monde change

Cet article fait suite à mes 4 derniers posts :

  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”
  • L’homme en relation, la condition de l’homme moderne

La révolution industrielle est passée par là. Puisque le travail et l’œuvre s’exposent désormais en public – leurs performances gagnent le rang d’excellence, laquelle n’était réservée qu’aux activités publiques : les belles actions et les bonnes paroles –, le privé, au sens moderne, s’oppose au social et sa fonction essentielle est de protéger l’intimité. Le vocabulaire anglais est plus signifiant que celui de sa traduction française : « We no longer think primarily of deprivation when we use the word « privacy » (…) The decisive historical fact is that modern privacy in its most relevant function, to shelter the intimate, was discovered as the opposite not of the political sphere but of the social » (1). Aujourd’hui, dans Internet – espace de toutes nos relations –, le mot privacy est le terme générique qui signifie tout ce qui touche à la vie privée : les données, les règles de protection, les bonnes pratiques… Une ONG anglaise du nom de Privacy International s’est fixé pour but « de défendre le droit à la vie privée à travers le monde, et de lutter contre la surveillance et autres intrusions dans la vie privée par les gouvernements et les sociétés. » (2) Il faut mentionner ici deux déplacements remarquables concernant les droits de l’homme et la dignité humaine. Alors que dans l’antiquité, l’homme libre avait le droit d’accéder à la cité, l’esclave restant caché dans l’espace privé (de droit), aujourd’hui, on peut lire dans le credo de l’ONG Privacy International : « la vie privée est le droit de contrôler qui sait quoi sur vous, et dans quelles conditions (…) la vie privée est essentielle à la dignité humaine et à l’autonomie dans toutes les sociétés. Le droit à la vie privée est un droit humain fondamental qualifié. »

Les relations que l’homme noue dans sa sphère privée ou dans le monde public, n’ont cessé d’évoluer au gré des déformations des lieux où il exerce ses activités d’homme. Dans l’antiquité grecque, l’égalité entre pairs fondait des relations de compétition au sein de la polis. Il fallait être le meilleur : belles actions et bonnes paroles étaient les pierres de touche. Les premières pouvaient être farouches, elles se sont perpétuées bon an mal an jusqu’à la forme du duel que pratiquaient encore quelques nobles. Les secondes valurent leur gloire aux tribuns qu’on n’imagine pas en dehors d’un cénacle politique. A l’époque moderne, lorsque la société s’immisce dans la dichotomie tutélaire du monde antique au point de la fracturer, elle va progressivement exclure la possibilité de l’action à tous les niveaux. Le sens de l’égalité bascule, désormais la société égalise. Fondée sur le conformisme, l’égalité devient la base de l’économie. Passée de la polis à la société, elle se mesure, se calcule statiquement. L’action individuelle se dilue dans le comportement de la masse. Les hommes ne sont plus acteurs de la relation, ils n’agissent plus les uns avec les autres mais ont entre eux des comportements en commun.

Plus il y a de citoyens plus la moyenne engloutit les variations, les déviations. « The laws of statistics are valid only where large numbers or long periods are involved, and acts or events can statistically appear only as deviations or fluctuations » (3). Hannah Arendt traduit immédiatement en termes politiques : plus le nombre de personnes augmente, plus on passe du politique au social pour constituer le domaine public. Elle rappelle que les grecs savaient tenir compte de ce phénomène puisqu’ils avaient garde de conserver à la polis un petit nombre de citoyens, même si leur survie était à ce prix. Le courage était une vertu politique.

Pour exister, la cité grecque s’appuyait sur l’action et la parole, ses deux piliers politiques. Elle se distinguait ainsi du monde perse dont la civilisation favorisait au contraire les foules qui inclinent au despotisme.

(1) CHM.en p.38, « quand nous parlons du privé, nous ne pensons plus à une privation (…) Evénement historique décisif : on découvrit que le privé au sens moderne, dans sa fonction essentielle qui est d’abriter l’intimité, s’oppose non pas au politique mais au social », CHM.fr p.77

(2) https://www.privacyinternational.org/

(3) CHM.en p.42, « Les lois de la statistique ne sont valables que pour les grands nombres ou les longues périodes ; les actes, les événements ne peuvent apparaître statistiquement que comme des déviations ou des fluctuations ». CHM.fr p.81.


L’homme en relation, la condition de l’homme moderne

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  • L’homme en relation, une lecture de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, la genèse de la “Condition de l’homme moderne” d’Hannah Arendt
  • L’homme en relation, notice sur Hannah Arendt, l’auteure de la “Condition de l’homme moderne”

Hannah Arendt distingue trois activités humaines sous le même terme de vita activa. Le travail (labor), l’œuvre (work) et l’action (action) sont les trois activités fondamentales, il n’y en a pas d’autres. Chacune correspond à des conditions de la vie humaine. « Labor is the activity which corresponds to the biological process of the human body (…) The human condition of labor is life itself. Work is the activity which corresponds to the unnaturalness of human existence (…) [it] provides an « artificial » world of things (…) the human condition of work is worldliness. Action, the only activity that goes on directly between men without the intermediary of things or matter, corresponds to the human condition of plurality (…) this plurality is specifically the condition (…) of all political life. » (1)

Ces trois conditions encadrent l’existence humaine, elles se réfèrent toutes à la vie. Le travail, en assurant la vie de l’individu, assume celle de l’espèce. L’œuvre apporte de la permanence, de la durée, elle permet la survie. L’action permet la naissance, la transmission de la vie, la transmission d’une vie à une autre vie.

Pour Hannah Arendt, l’action est l’activité la plus remarquable. « Plurality is the condition of human action because we are all the same, that is, human, in such a way that nobody is ever the same as anyone else who ever lived, lives, or will live. » (2) Cette dernière condition est paradoxale car elle est, en quelque sorte, la condition de l’évasion, celle qui permet à l’homme d’échapper aux conditions tout en demeurant humain. Elle laisse une place à l’imprévu, à l’impondérable, à la création « in its most elementary form, the human condition of action is implicit even in Genesis (« Male and female created He them ») » (3).

Pour situer les activités humaines, Hannah Arendt prend du recul et fait appel à l’histoire. Les grecs de l’antiquité, comme Aristote, voyaient en l’homme un ζῷον πολιτικόν (zôon politikon). Lorsque nous traduisons par « animal politique », la signification contemporaine des mots animal et politique fausse notre compréhension. « Vivant de la cité » serait plus juste. Il s’agit en fait d’un héritage des latins qui, n’ayant pas d’équivalent au mot politique, traduisaient par « animal socialis ». Dans la Grèce antique, une distinction fondamentale s’instaure entre l’οἶκος (la maison, domaine privé) et la πόλις (la cité, domaine public). En dehors de la maisonnée et de la polis, il n’existe rien. Les activités humaines relèvent de l’une ou de l’autre, exclusivement. « The polis was distinguished from the household in that it knew only « equals », whereas the household was the center of the strictest inequality. » (4) Le travail et l’œuvre étaient des activités domestiques qui incombaient aux esclaves. L’action, au contraire, était au grand jour l’affaire des hommes libres. Libres, ils l’étaient pour avoir refusé de peiner (l’étymologie du mot travailler renvoie à la pénibilité) au risque d’être pauvres. L’esclave, vivant le confort d’une maison et acceptant de s’aliéner par le travail, ne méritait pas beaucoup de considération. Les deux activités humaines qualifiées de politiques étaient l’action (praxis) et la parole (lexis), elles permettaient à l’homme libre de faire valoir son excellence en se distinguant par de belles actions et de belles paroles. Deux disciplines étaient enseignées : l’art de la guerre et la rhétorique. Cette dernière, s’exerçant avec le langage pour délivrer le mot juste au bon moment, fut vite considérée comme supérieure à la violence brutale et muette de la première.

La parole est très tôt valorisée, elle est un moyen de persuasion, une façon spécifiquement humaine de répondre, de répliquer, de se mesurer. Aristote trouve là une définition de l’homme comme étant capable de langage ζῷον λόγον ἔχον (zôon logon ekhon), les barbares comme les esclaves étant privés de parole άνευ λόγου (aneu logou).

La traduction latine « animal socialis » laisse apparaître un malentendu. Entre le domaine de la vie privée (de parole) et celui de la vie publique, un troisième espace se dessine : la société. Ni privée, ni publique, ou plutôt public et privée, elle crée une confusion que Hannah Arendt démasque.

En effet, chez les latins, le mot societas de l’expression animal socialis traduisant ζῷον πολιτικόν avait bien un sens politique « it indicated an alliance between people for a specific purpose, as when men organize in order to rule others or to commit a crime » (5). Au Moyen-âge, le domaine public est absent, toutes les activités sont absorbées par le domaine familial : le noble est sur sa seigneurie, le vilain sur sa culture, le citadin dans sa ville. Ce domaine laïc était exclusif du domaine religieux. La bipartition stricte entre le privé et le public s’était perpétuée. Mais le concept de société du genre humain fait prendre au mot société un sens plus général. Alors que la société devient une condition humaine, comment la situer quand privé et public doivent s’exclure ? De fait, la vie privée se rétracte, soit en s’exposant au grand jour soit en étant grignotée par la sphère publique. Hannah Arendt suggère de voir chez St Thomas d’Aquin une expression claire de ce glissement irréversible lorsqu’il « compares the nature of household rule with political rule: the head of the household, he finds, has some similarity to the head of the kingdom, but, he adds, his power is not so « perfect » as that of the king. » (6)

L’apparition du domaine social brouille les cartes. Ce sur quoi reposait l’équilibre du monde ancien disparaît. Un mur tombe, celui qui séparait le foyer familial de l’agora. La nouvelle dimension politique est celle de l’Etat-nation, domaine dans lequel les frontières culturelles et politiques se confondent, incorporant les personnes d’une même « souche ». En terme scientifique, Hannah Arendt précise que la discipline correspondante est l’économie sociale (7), un assemblage de mots contradictoires pour les anciens mais tellement conforme à notre monde moderne.

A suivre…

(1) CHM.en p.7, « Le travail est l’activité qui correspond au processus biologique du corps humain (…) la condition humaine du travail est la vie elle-même. L’œuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine (…) [elle] fournit un monde « artificiel » d’objets (…) la condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au monde. L’action, la seule activité qui mette directement en rapport les hommes, sans l’intermédiaire des objets ni de la matière, correspond à la condition humaine de la pluralité (…) cette pluralité est spécifiquement la condition (…) de toute vie politique. » CHM.fr p.42

(2) CHM.en p.8. « La pluralité est la condition de l’action humaine, parce que nous sommes tous pareils, c’est-à-dire humains, sans que jamais personne ne soit identique à aucun autre homme ayant vécu, vivant ou encore à naître. » CHM.fr p.42-43

(3) CHM.en p.8, « sous sa forme la plus élémentaire, la condition humaine de l’action est déjà implicite dans la Genèse (il les créa mâle et femelle) » CHM.fr p.42

(4) CHM.en p.32, « La polis se distinguait de la famille en ce qu’elle ne connaissait que des « égaux », tandis que la famille était le siège de la plus rigoureuse inégalité » CHM.fr p.70

(5) CHM.en p.23, « il désignait une alliance conclue dans un but précis, par exemple par des gens qui s’associent pour prendre le pouvoir ou pour commettre un crime » CHM.fr p.60

(6) CHM.en P.27, « compare le la nature du gouvernement familial au gouvernement politique : « le chef de famille, dit-il, a quelque ressemblance avec le souverain du royaume, mais, ajoute-t-il, son pouvoir n’a pas la ‘’perfection’’ de celui du roi » » CHM.fr p.65.

(7) Dans le livre original, Hannah Arendt propose les terminologies suivantes : « national economy », « social economy » ou Volkswirtschaft.


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